30 janvier 2007

wwoofing

Courrier international - n° 785 - 17 nov. 2005

Voyage

CARDER, PLANTER, VENDANGER - Vacances écolo en Australie

Combiner voyage et quelques travaux manuels dans des fermes biologiques : pour les jeunes candidats à l’aventure, c’est un bon moyen d’échapper à l’éternelle auberge de jeunesse.

Quelque part en Tasmanie, enfoncée jusqu’aux chevilles dans la boue d’un champ détrempé, je m’efforce de limer les sabots d’une chèvre en chaleur tandis qu’elle tente de me renvoyer sur le continent d’un coup de pied bien senti. Ce n’est que l’une des nombreuses occasions où, au cours de mon wwoofing, je me suis demandée ce que diable j’étais venue faire là. Le concept de wwoofing vient de Willing Workers On Organic Farms [travailleurs motivés dans l’agriculture biologique], un organisme international grâce auquel des voyageurs peuvent échanger leur bras contre le gîte et le couvert dans des exploitations ou des fermes du monde entier. Certains n’y voient qu’un moyen de voyager à bas prix ; d’autres sont là pour apprendre des techniques d’agriculture biologique ou alternative, tandis que beaucoup sautent sur l’occasion pour rencontrer de “vraies” gens et échapper à la ronde sans fin des lits superposés dans les auberges de jeunesse.
Pour moi, c’était une façon de combiner voyage et travaux manuels dans l’espoir d’oublier une histoire d’amour malheureuse. C’est ainsi que je me suis retrouvée, dans le désordre, à tailler la vigne dans l’Etat de Victoria, à extirper du fumier de vieilles cornes de vache dans une ferme de la Nouvelle-Galles du Sud, à carder de la laine pour en faire du feutre en Tasmanie. La quantité de travail à fournir, la convivialité des hôtes, le fait qu’ils soient estampillés bio ou non : tout cela peut varier radicalement d’un endroit à l’autre. En contrepartie de modiques frais d’inscription, les wwoofers reçoivent la liste de toutes les propriétés membres de l’organisation (plus de 1 400 en Australie).
Vous apprendrez vite à la décoder. A moins que les germes de soja et le chant n’occupent une grande place dans votre vie, vous ferez bien, par exemple, d’éviter la communauté Dharmananda ou Oneness Incorporated. En tant que jeune fille délicate de la ville, j’avoue avoir écarté les descriptions du type “authentiques W-C australiens”, “douches dans les buissons” ou “nous n’avons pas l’électricité, pensez à vous munir de torches électriques”. Avant d’être passée experte en lecture entre les lignes, j’ai tout de même réussi à me retrouver coincée dans l’Etat de Victoria avec un couple d’écolos amoureux de musique folk et néanmoins totalement privés de joie de vivre. Dépourvue de chauffage, leur maison crasseuse était glaciale. J’ai passé chez eux deux jours à repiquer sur leur terrain des plants d’eucalyptus que je devais ensuite protéger avec des emballages de lait en carton. Alors que le travail était en lui-même plutôt satisfaisant (et me laissait les mains délicieusement parfumées), la perspective de passer une soirée de plus à boire de la bière chaude et visqueuse brassée maison en compagnie des cousins de mes hôtes m’est apparue au-dessus de mes forces. J’avais prévu de rester une semaine ; j’ai donc comploté pour mon évasion en téléphonant en cachette à des compagnies d’autocars avant de foncer vers le sud, direction Great Ocean Road [considérée comme l’une des plus belles routes côtières du monde].
Ce qui fait la beauté du wwoofing, c’est un engagement totalement bénévole que l’on est libre de rompre à tout moment. Généralement, on appelle sa famille d’accueil pour se mettre d’accord sur la durée du séjour - officiellement deux nuits minimum, mais certaines fermes peuvent exiger un séjour d’au moins une semaine. Cependant, puisqu’il n’y a aucun échange d’argent, il est toujours possible de mettre les voiles (pourvu que les horaires d’autocar le permettent). Les gîtes les plus confortables (comme une maison en bord de mer à Byron Bay, dans le nord de la Nouvelle-Galles du Sud, où les wwoofers bénéficient d’un libre accès à la source thermale et à la piscine en échange de deux heures de travail par jour) affichent complet très rapidement.
Beaucoup de femmes voyageant seules choisissent le wwoofing. Cependant, il n’est pas réservé aux jeunes à budget serré qui cherchent un moyen peu onéreux de découvrir le pays. Les vignerons du Victoria chez qui j’ai séjourné ont un jour vu débarquer le directeur général d’une compagnie d’informatique canadienne dans une Audi flambant neuve, le coffre plein d’alcool, qui recherchait une nouvelle “expérience de vacances”. Cela dit, les hôtes accueillent plus souvent des étudiants sud-coréens désireux d’améliorer leur anglais, bien qu’il soit difficile de trouver dans un manuel scolaire le dialecte utilisé dans ce genre d’exploitation.
Le sérieux de l’engagement biologique des hôtes peut, lui aussi, être sujet à caution. Mes viticulteurs du Victoria étaient assurément plus enclins à savourer le fruit de leur labeur qu’à étudier sérieusement la meilleure façon de se passer de pesticides. En revanche, sur un domaine situé près de Gilgandra, au fin fond de la Nouvelle-Galles du Sud, j’ai séjourné chez un couple de fermiers australiens ordinaires qui avaient adopté la forme la plus extrême d’élevage biologique et biodynamique. Tandis que leurs enfants s’empiffraient de crèmes glacées et de tourtes à la viande surgelées, leurs moutons, eux, étaient tendrement traités aux remèdes homéopathiques et leurs poulets erraient librement, picorant çà et là du grain bio.
Une fois, j’ai passé des heures à extraire du fumier de vieilles cornes de vaches, que l’on enterre à une phase de la lune bien précise et qu’on laisse enfouies des mois durant jusqu’à ce que la mixture devienne très fertile – semble-t-il. Quiconque a vu des poules glousser joyeusement à travers champs avant de devoir nettoyer à la laine d’acier une centaine d’œufs biodynamiques souillés de fiente sait que les œufs bio du supermarché du coin, même un peu plus chers, sont encore vraiment donnés. J’ai aussi découvert que rien ne fait mieux apprécier une bonne douche, une bière fraîche et un repas copieux à la fin de la journée que d’avoir chevauché un quad pour conduire un troupeau, immobilisé des moutons pendant qu’on leur administrait leurs médicaments ou encore découpé du métal à la scie circulaire en plein cagnard. Même si les compétences que j’ai acquises ne devraient m’être que de peu d’utilité à mon retour dans le nord de Londres, j’ai tout de même développé de jolis muscles dont je pouvais m’enorgueillir. Le petit ami indélicat n’occupait plus mon esprit (du moins, plus en permanence), et j’ai fait la connaissance de gens que je n’aurais jamais rencontrés en temps normal, et encore moins fréquentés une semaine entière dans des endroits que je n’aurais jamais non plus découverts seule.

Passer des heures à extraire du fumier de vieilles cornes

Quand j’ai atterri en Tasmanie, Karen, mon hôtesse, est venue me chercher au ferry et m’a conduite à travers une campagne magique, verte et luxuriante, aux allures de Moomin Valley [une bande dessinée finlandaise]. Nous sommes arrivées dans une maison cachée au bout d’une longue piste sinueuse et poussiéreuse, sans aucune autre habitation alentour. C’était comme pénétrer un autre monde et, pendant une semaine, j’ai fait partie de la famille, à m’occuper de leurs deux petites filles, à nourrir les chevreaux au biberon, à désherber leur petit carré de légumes bio et à carder de la laine pour en faire du feutre. Karen et moi passions la matinée dans la remise, dès que les fillettes étaient à l’école, à transformer le feutre en chapeaux et en couvre-bouteilles aux couleurs vives. Le samedi, nous avons emporté les chapeaux au marché de Salamanque, à Hobart, la capitale de l’île. Debout derrière l’étal, en vendant ces chapeaux que j’avais fabriqués moi-même, je me suis sentie étrangement fière de mon travail artisanal, et un léger sentiment de supériorité m’a envahie face aux hordes de touristes qui traînaient sur le marché.
Lorsqu’on voyage (en particulier quand on est une jeune femme), on n’a pas souvent l’occasion de découvrir un pays de l’intérieur si facilement, si rapidement et sans danger. Même si vous n’éprouvez pas le moindre intérêt pour l’élevage ou l’agriculture biologiques, le wwoofing offre une excellente alternative au baroud solitaire. Voyager ainsi, c’est une grande loterie pour aventuriers. C’est vrai que l’on risque d’atterrir dans la Ferme de l’inconfort, mais on peut aussi mieux tomber la fois suivante et se retrouver, comme ça m’est arrivé, assis sous une véranda à admirer des vignes à perte de vue en savourant du vin et un steak au barbecue – et tout cela contre quelques heures de bon vieux labeur un peu rude. Si vous voulez séjourner à peu de frais en immersion totale dans un pays et, tant que vous y êtes, acquérir de nouvelles compétences (plus ou moins utiles), c’est le moyen idéal. Pour oublier vos déboires sentimentaux, par contre, c’est moins efficace. Mon petit ami indélicat et moi-même projetons d’emmener notre bébé en wwoofing dès qu’il sera assez grand.

Kathryn Good
The Independent



• Internet
Informations concernant les visas et “autorisations électroniques de voyage” : ambassade d’Australie en France
http://www.france.embassy.gov.au/

Le site international de WWOOF :
http://www.wwoof.org/

WWOOF Australie :
http://www.wwoof.com.au/

Work and Travel Company (http://www.worktravelcompany.com/) propose des opportunités de “vacances-travail” en Australie.
Ils accueillent, logent et trouvent des petits boulots pour ceux qui sont intéressés. Pages en français.

Pour trouver une auberge de jeunesse en Australie :
http://www.itchy-feet.com.au/australia/index1.html et http://www.hostelaustralia.com/

Deux sites touristiques très complets sur Byron Bay :
http://www.visitbyronbay.com/ et http://www.byronbay.com/

Pour se loger à Byron Bay, hôtels, locations et auberges de jeunesse :
http://www.byronbayaccom.net.


• Carnet de route
S’Y RENDRE • Au départ de Paris, plusieurs compagnies aériennes proposent des vols vers l’Australie, dont Singapour Airlines, Qantas et Air France. Le prix du billet varie entre 1 500 euros et 7 000 euros. Possibilité de prendre des billets open jaw, qui permettent de repartir d’une autre ville que celle où l’on a atterri. Pour un séjour de moins de trois mois, le visa n’est pas nécessaire, mais il faut une “autorisation électronique de voyage” que l’on peut obtenir sur Internet pour 20 dollars australiens [15 euros] ou dans une agence de voyages. Entre 18 et 31 ans, on peut faire la demande d’un visa “vacances-travail” d’un an, qui permet d’avoir un emploi rémunéré ponctuel ou saisonnier. Son coût est de 180 dollars australiens.

SE LOGER • Pour devenir membre de WWOOF, il faut s’inscrire dans l’antenne du pays où l’on souhaite se rendre. Le prix de l’inscription et le nombre de maisons d’accueil varient d’un Etat à l’autre. Pour l’Australie, l’inscription annuelle coûte 50 dollars pour une personne ou 60 dollars pour deux personnes voyageant ensemble. Elle donne accès à la liste des fermes WWOOF du pays, que l’on contacte ensuite soi-même. Plusieurs fermes acceptent les enfants, mais il faut s’en assurer au préalable. Sur les 1 500 sites australiens, quelques centaines ne sont pas des fermes biologiques. Ces lieux doivent néanmoins remplir certains critères culturels ou éthiques (en rapport avec l’écologie). On trouve par exemple un centre de yoga à Sydney, une colonie d’artistes dans le Queensland, un écrivain qui vit sur un bateau, ou un éco-hôtel dans la forêt tropicale. En moyenne, les fermes et maisons d’hôtes demandent à leurs invités de fournir six heures de travail par jour, six jours par semaine, sans rémunération.

À VOIR • Dans le nord-est de la Nouvelle-Galles du Sud, Byron Bay est la capitale hippie de l’Australie et le symbole de tout ce qui est culture alternative, biologique et naturelle. Avec ses plages splendides et son microclimat, elle est aussi l’un des hauts lieux du surf. Bien que l’endroit soit devenu très touristique, cette petite enclave a su préserver son authenticité. Il y a de nombreuses promenades à faire dans la campagne, la forêt tropicale et le long de la côte sauvage. La plus jolie d’entre elles vous mène au phare du cap Byron, l’endroit le plus à l’est du pays. La vue y est fabuleuse, et on peut y voir le lever du soleil avant le reste du pays. En partant du phare, et en prenant la promenade qui longe la côte, on peut également voir des dauphins, qui sont nombreux dans ces eaux, et, suivant les saisons, des baleines qui remontent vers le nord.


source: http://www.courrierinternational.com/voyage/article.asp?obj_id=57221

1 commentaire:

Gabrielle a dit…

Bonjour!
Je viens de lire ton article avec attention et j'ai une petite question a te poser! A la fin tu dis que tu projettes de repartir avec ton bébé lorsqu'il sera plus grand...
Voilà, nous on est un couple, et la "philosophie" du wwoof nous correspond complètement. D'ailleurs quand on a découvert que ca existait on n'y croyait à peine! Le "truc" c'est qu'on a un bébé (Marcus, il a 5 mois) et on ne peut pas se permettre de partir totalement "à l'arrache"... Donc si tu peux me conseiller un peu, toi qui a déjà vécu l'expérience ce serait très sympa... Merci beaucoup
A très vite j'espère!
Gabrielle, William et little Marcus